Au début c'était tous les 3 mois. Puis tous les 6 mois. Puis la dernière fois, à la fin de la consultation, il m'a sorti COMME D'HABITUDE "on se revoit dans 6 mois". Alors comme je n'ai pas que ça à faire dans la vie que de me plier à ses rituels et de passer mes après-midis au CHU, je lui ai répondu avec aplomb, d'un air convaincu, que dans un an ça suffirait. Que si les poumons ou l'oesophage de Didym avaient besoin de le revoir, on lui ferait signe. Et comme une fois j'ai convaincu un interne incrédule que la fistule trachéo-oesophagienne de Didym s'était rouverte, il n'a pas eu trop le choix, et comme il sait que je peux être d'une nature déplaisante quelquefois, il a acquiescé.
Ses rituels sont immuables : il dit bonjour à Didym, lui demande s'il se rappelle de lui (Didym qui n'a pas l'esprit de contradiction lui répond alors "Voui", et vous pensez bien qu'un type qui lui ausculte les poumons tous les 18 mois (oui 18 mois, car je n'ai pas précisé que j'avais allongé la période de manière unilatérale....) lui évoque des souvenirs nets, même si le type en question lui a ausculté les poumons tous les jours pendant 6 mois au début de sa vie...) et lui répond à Didym "parce que moi je me souviens très bien de toi". (Sans doute veut-il signifier par là que Didym a l'immense honneur de ne pas faire partie de la catégorie des dossiers qui ne sont que des numéros... que l'histoire médicale de Didym lui vaut le privilège d'avoir laissé une trace dans la mémoire de ce toubib...)
Etape suivante, il me demande des nouvelles des poumons, de l'oesophage, puis ausculte (si un(e) interne est présent(e); il montre le dos de Didym zébré par les cicatrices). Puis il me demande des nouvelles du développement psycho-moteur de Didym, essaie de me convaincre que ses lésions sont dues à sa prématurité et aux circonstances de sa naissance. Ce à quoi je réponds invariablement que le fait que des toubibs aient inondé les poumons de Didym, que d'autres l'aient laissé convulser n'est sans doute pas étranger à son handicap.
Etape suivante, il regarde Didym pensif et dit "Ca va aller, oui, ça va aller" (ah oui, ça va aller? Et si c'était TON gamin, tu dirais aussi "ça va aller"? Tu essaies de te convaincre toi-même que ça va aller, que toi et tes CONfrères n'y sont pour rien...)
Fin de la consultation "on se revoit dans un an" (Mais oui, dans un an, c'est ça, tu peux compter sur nous, et la marmotte elle met le chocolat dans le papier d'alu...), on se sert la main, et le moment tant attendu arrive : il me dit :
"Vous transmettrez mes amitiés à votre mari"
A chaque fois, en 4 ans et demi il n'a jamais loupé une seule fois de me confier ses amitiés pour le Papounet. Là c'est vraiment le moment préféré, un sourire d'une oreille à l'autre, je lui réponds que je n'y manquerai pas.Un jour je devrais lui dire que je n'ai pas souvenir que Papounet et lui étaient amis, que je ne pense pas qu'ils le soient devenus entre temps....